J’ai toujours été fascinée par les rêves, au point où je fais maintenant ce qu’on appelle les rêves lucides. Ce sont des rêves dont tu peux contrôler les issues. Pour exercer ma mémoire, je me réveille deux ou trois fois par nuit, et je me souviens de tous les détails de mes rêves. Ainsi chaque soir, je me transforme en Marchande de Sable.
Ma mission ? Pour une dormeuse invétérée, créer des rêves parfaits …
Une fois la nuit tombée, pelotonnée dans mon lit moelleux, je glisse lentement dans le sommeil. C’est l’heure de pointe à la Fabrique à rêves. Il semble que je sois nouvellement employée dans cette fabrique magique où je dois créer des millions de rêves inoubliables et fantastiques pour les dormeurs et dormeuses du monde entier. Aux commandes donc, la grande marchande de sable annonce les consignes que vous autres, petites mains travailleuses, allez devoir respecter. N’est-ce pas un métier de rêve, justement ?
Je trouve que le rêve a un potentiel incroyable pour un auteur: tu n’as plus de lois. Et le lecteur accepte ces illogismes. Si tu veux écrire quelque chose d’original et d’intéressant, dans ce monde, ton potentiel imaginaire est illimité.
Les phénomènes du rêve et du sommeil sont étonnants. Pourtant, le rêve reste un sujet mineur, souvent appréhendé comme une production solitaire, intime et incontrôlée, par contraste avec les activités sociales propres à l’éveil.
Le rêve est un autre monde, l’outre-tombe de la mémoire, l’aimantation de la face nocturne de notre existence par cet au-delà du réel (le surréel) que définit la perception vigile.
Le rêve s’impose comme vision, comme révélation, comme instrument de connaissance et comme poésie involontaire.
Voilà ce qui nous est offert et nous trouble toujours quand nous plongeons dans l’univers onirique des songes…
Le récit du rêve est ce que raconte le voyageur qui voit défiler le paysage de la fenêtre de son compartiment de chemin de fer, comme l’écrit Freud. Mais le train des pensées n’emprunte jamais la voie directe mais plutôt des voies latérales avec des détours, des aiguillages nombreux et compliqués, des retours en arrière. Chaque rêveur invente son parcours, chacun organise son réseau mais ne connait ni la gare de départ, ni la gare de destination…
Ce qui compte c’est l’attente. A suivre à la prochaine station.
Le rêve est comme le désir, mystérieux, tortueux, ondulatoire et changeant. Dans le rêve, pas d’enchainement logique, pas de chaîne. Le rêve nous entraine dans ses jeux d’images, brouille les époques, joue des métaphores et des métonymies, déplace ses objets, inverse les contraires, il construit des rébus et propose ses énigmes à l’interprète, jusqu’à l’ombilic du rêve. Faites entrer l’infini…
Comment ce modèle ondulatoire des vagues peut-il relier les corps ou les faire se défaire? Comment se toucher sans contact apparent ?
Le rêve parle un langage de décombres où voisinent les soleils et les plâtras.
Pour revenir à l’impact du rêve sur le pouvoir du récit, il permet à un auteur de développer une écriture à la fois très précise dans l’évocation du détail, très suggestive dans la représentation de l’image, et très éclairante dans l’analyse de ce qui, dans le monde des phénomènes, ne nous paraît absurde ou irreprésentable que parce qu’il échappe à notre pouvoir de saisir le sens caché et la profonde duplicité inhérente aux choses.
En tout état de cause, le rêve permet de transgresser les limites du sommeil et de la veille, de la logique et du merveilleux, du naturel et du surnaturel.
Grâce au rêve, on peut repousser toujours plus loin les limites de la représentation, jusqu’à parvenir, en représentant l’irreprésentable, à trouver le fondement de son écriture : l’image qui, poussée à son extrême point d’incandescence, révèle tout un faisceau de significations neuves et éclairantes pour notre compréhension du monde, de ses ressorts cachés et ses obstacles latents…
K.G 26 janvier 2025