Suspendue du pouvoir ce jeudi 12 mai pour une durée de 180 jours, accusée de maquillage de comptes publics, la présidente du Brésil Dilma Rousseff est contrainte de céder le pouvoir à son vice-président Michel Temer… accusé lui aussi de corruption.
La situation politique inédite au Brésil pourrait être résumée en un échange, imaginé par cette internaute sur Twitter en avril:
Même si la destitution de Dilma Rousseff n’est pas directement liée au scandale de corruption autour du géant étatique pétrolier Petrobras, les soupçons de l’opinion publique brésilienne autour de sa responsabilité et l’ampleur des manifestations exigeant son départ ont nettement accéléré le processus de destitution. Car si son nom n’est pas cité parmi les personnalités suspectées, les Brésiliens estiment que Dilma Rousseff, ancienne ministre de l’énergie puis chef de cabinet du président Lula au moment des faits, ne pouvait ignorer ces malversations.
Michel Temer n’a pas non plus été mis en cause par la justice dans cette affaire, du moins pour l’instant. Car son nom est cité comme bénéficiaire de pots-de-vin par des inculpés dans ce scandale qui éclabousse de plein fouet le parti qu’il dirige depuis 15 ans, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB).
Il pourrait en revanche voir son mandat cassé par la justice électorale, conjointement à celui de Dilma Rousseff, pour « pollution » du financement de leur campagne par des fonds détournés de Petrobras. Il risque aussi d’être déclaré inéligible pour huit ans, après sa récente condamnation en appel pour entorse à la loi sur le financement des campagnes électorales.
Qu’importe. Le 5 août, c’est sûrement à lui qui reviendra l’honneur de déclarer « ouverts » les jeux Olympiques de Rio de Janeiro, devant des centaines de millions de téléspectateurs.
Le « chef de la conspiration » pour Dilma Rousseff
Courtois, discret, réservé, Michel Temer semblait résigné aux seconds rôles honorifiques… jusqu’à ce qu’il appuie sur la gâchette pour s’emparer du fauteuil présidentiel de Dilma Rousseff. Cet avocat constitutionnaliste de 75 ans au port altier, tiré à quatre épingles, a dissimulé ses cartes pendant des mois, tel un habile bluffeur de poker au visage figé par la chirurgie esthétique.
Tant pis si Dilma Rousseff le qualifie de « traître », de « chef de la conspiration ». Michel Temer s’installera dès cette semaine au palais présidentiel du Planalto à Brasília, probablement jusqu’à 2018.
Dirigeant du PMDB, arbitre centriste de toutes les majorités de gouvernement depuis 1994, Michel Temer a accumulé les rancœurs en cinq ans de mariage de raison avec la dirigeante de gauche.
En décembre, ce conciliateur peu coutumier des coups d’éclats avait surpris en étalant son amertume dans une « lettre personnelle » à Dilma Rousseff. Il lui reprochait de l’avoir toujours méprisé, traité en « vice-président décoratif ». Il ne lèverait plus le petit doigt pour elle.
Les Brésiliens souhaitent (déjà) son départ
Retranché depuis dans sa résidence de Brasília, téléphone coupé pour la présidence, il a observé ensuite en silence l’embrasement de la crise politique brésilienne au mois de mars, l’affaiblissement inexorable de la chef de l’État.
L’heure avait sonné pour Michel Temer de passer enfin de l’ombre à la lumière. En vieux renard de la politique, il a orchestré le débarquement de son parti du gouvernement fin mars, un coup fatal pour sa désormais rivale.
C’est maintenant ou jamais pour ce politicien largement méconnu des Brésiliens, qui a présidé trois fois la Chambre des députés brésilienne. Car s’il devait briguer le pouvoir à la loyale lors d’une élection présidentielle, il n’obtiendrait qu’entre 1 à 2% des suffrages, selon un récent sondage. Les Brésiliens souhaitent son départ à peu près autant que celui de Dilma Rousseff.
Le profil sans relief de ce cadet d’une fratrie de huit enfants, nés d’immigrants libanais en 1940 dans l’État de Sao Paulo (sud-est), cache toutefois quelques surprises. Michel Temer a par exemple publié en 2013 un recueil de poésie. Il a eu cinq enfants de trois mariages en quatre décennies.
Son épouse actuelle est une ex-reine de beauté âgée de 32 ans, enceinte de six mois, décrite comme « belle, réservée et au foyer » dans un récent portrait de la revue conservatrice Veja.
En embuscade
Michel Temer a longtemps joué les modestes. Quand ses partisans le recevaient il y a quelques mois, aux cris de « Temer président! », il répondait gêné: « Pour l’instant, non merci. Nous allons attendre 2018 ».
Mais il avançait déjà par petites touches. Deux mois avant sa lettre de divorce à Dilma Rousseff, il avait publié une ébauche de programme économique intitulé « Un pont vers l’avenir ». Il y critiquait les « excès » de la politique économique dépensière du Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir.
Les marchés, inquiets de la récession historique qui frappe le Brésil, espèrent qu’il répondra rapidement à leurs attentes: ajustement budgétaire, réforme du système des retraites, du droit du travail. Mais comme Dilma Rousseff, il devra composer avec un parlement fragmenté où les appuis se négocient cash, au minimum en échange de milliers de postes de confiance dans la machine étatique.
Il comptait drastiquement réduire le nombre de ministères. Il a déjà dû mettre de l’eau dans son vin.
Source huffingtonpost.fr