Cheikh Anta Diop, le pharaon oublié Par Sidy Diop

 

Il aurait pu être une statue de marbre trônant sur l’une des places majeures de Dakar. Son nom aurait pu résonner dans chaque salle de classe, gravé dans les manuels scolaires comme un legs incontestable. Son visage, avec son regard perçant et son front haut, aurait dû s’imposer sur les billets de banque, les avenues, les institutions. Mais Cheikh Anta Diop, l’homme qui a redonné à l’Afrique sa mémoire, reste une figure aussi vénérée que paradoxalement marginalisée dans son propre pays.

Le Sénégal, très peu porté par les épanchements du cœur avec ses grandes figures, ne l’a jamais vraiment honoré à sa juste mesure. Certes, son nom a été donné à la principale université du pays, et un modeste musée porte son empreinte. Mais cela suffit-il pour un homme dont les travaux ont ébranlé les certitudes les plus établies de l’histoire universelle ?

Combat solitaire contre l’histoire officielle

L’histoire, cette maîtresse capricieuse, est souvent écrite par ceux qui tiennent la plume. Pendant des siècles, l’Afrique a été racontée par d’autres, reléguée à la marge du grand récit de l’humanité. On lui concédait des royaumes éphémères, des dynasties oubliées, mais jamais une place centrale dans l’édification des civilisations. C’est cette vision réductrice que Cheikh Anta Diop a défiée avec une audace rare.

Ses recherches, minutieuses et érudites, ont démontré l’apport fondamental de l’Afrique à l’histoire universelle, en particulier à travers l’Égypte antique. Il a forgé un lien indélébile entre la vallée du Nil et le reste du continent, affirmant que les Pharaons étaient des Africains noirs et que l’Égypte pharaonique était une civilisation négro-africaine. Une thèse qui lui a valu le mépris des académies occidentales, mais aussi une résistance sourde de certains cercles intellectuels africains, trop habitués à la vision européocentrée de l’histoire.

Un penseur en avance sur son temps

 

Dans un pays où la politique capte souvent toute l’attention, Cheikh Anta Diop était une exception. Il ne s’intéressait pas aux joutes électorales éphémères, mais à la longue durée de l’histoire. Il voyait au-delà des indépendances formelles, imaginant un avenir où l’Afrique, unifiée et consciente de son passé, retrouverait sa grandeur.

Scientifique rigoureux, linguiste, historien, égyptologue, physicien, il était l’incarnation du savant polymathe, à l’image des intellectuels de la Renaissance. Mais cette polyvalence était aussi sa malédiction. Trop grand pour être réduit à une seule discipline, trop indépendant pour s’inscrire dans les cadres traditionnels du pouvoir, il dérangeait.

L’État sénégalais, sous Léopold Sédar Senghor, lui a longtemps tourné le dos. Trop radical, trop insoumis, trop exigeant. Son engagement politique pour un Sénégal libéré des influences néocoloniales, son plaidoyer pour une Afrique fière d’elle-même, lui ont fermé bien des portes. On l’a cantonné à la marge, on a minimisé son apport, jusqu’à ce que, par la force du temps et du travail des siens, son nom finisse par s’imposer malgré tout.

Un héritage en demi-teinte

Aujourd’hui, si Cheikh Anta Diop jouit d’une reconnaissance internationale, son influence au Sénégal reste contrastée. Les jeunes étudiants de l’Université qui porte son nom connaissent-ils vraiment son œuvre ? Ses livres, denses et exigeants, sont-ils lus par les nouvelles générations ?

L’ironie du sort veut que, dans de nombreuses institutions académiques occidentales, ses théories soient désormais étudiées avec le respect qu’il n’a pas toujours reçu chez lui. Des chercheurs américains et européens s’appuient sur ses travaux, quand bien des intellectuels africains peinent encore à les intégrer dans les cursus officiels.

Le Sénégal célèbre Cheikh Anta Diop, mais avec une retenue étrange, comme si le pays n’avait jamais su totalement apprivoiser cet esprit trop libre, trop visionnaire. Peut-être est-ce là le destin des véritables pionniers : être reconnus trop tard, adulés ailleurs, et toujours en avance sur leur temps.

 

Dans le silence feutré des bibliothèques où reposent ses ouvrages, dans les murmures des amphithéâtres où quelques professeurs passionnés continuent de transmettre son savoir, l’écho de sa pensée demeure. Il faudra sans doute encore du temps pour que son pays comprenne enfin que Cheikh Anta Diop n’était pas seulement un intellectuel de génie, mais un phare qui éclaire encore les ténèbres de l’oubli.

Sidy Diop

 

Saphiétou Mbengue
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