Chronique de l’improviste – Comme chaque 3 avril au soir, beaucoup de Sénégalais s’installent, pour écouter ou voir, ou les deux à la fois, une des séries annuelles préférées : Le Message à la Nation. Cette fois, c’est le président Diomaye Faye au micro, fraîchement sorti de son premier épisode présidentiel, avec en fond musical un doux air de “rupture systémique” en mode symphonique. Vous savez, celui où l’on mesure la température de la République. Pour son message de veille de 4 avril, il n’a pas déçu. Il a déroulé un programme digne d’un catalogue en promotion nationale.
Le décor est solennel, la voix grave, le ton mesuré, et surtout… les promesses bien emballées : 3000 fermes intégrées, 107 milliards pour les femmes, 2740 localités électrifiées, et des Autoroutes de l’Eau – oui, vous avez bien lu, les “autoroutes”, version H₂O. Bientôt, on prendra l’eau comme on prend l’autoroute. Péage au goulot. Il nous annonce : « rupture systémique », « diagnostic sans complaisance », « discipline budgétaire non négociable” ». On aurait presque envie de l’applaudir, s’il ne nous rappelait pas immédiatement que le basculement intégral dans le Système Intégré de Gestion de l’Information Financière est imminent. Rien que le nom donne envie de retourner en enfance. Je parle pour ceux qui ont le même âge que la République
Le Président a démontré qu’il a un faible pour les chiffres bien ronds et est d’une précision chirurgicale : 70 milliards pour apurer les dettes agricoles, 66 milliards pour les BTP, 19,53 milliards pour les enseignants. Heureusement que confronté à des finances publiques, dont l’état de santé est proche du coma, le président Diomaye Faye a perfusé le malade. On imagine les citoyens, bouche bée, se demander : « Mais où était caché tout cet argent pendant les 12 dernières années ? ». Si vous n’avez pas bien suivi : l’année dernière, on devait tout, cette année, on paie tout, et l’an prochain, on promet tout. Classique.
Et bien sûr, la grande tradition : la jeunesse, cette muse présidentielle éternelle. Toujours « au cœur de nos priorités », même si elle attend encore que le chantier de l’emploi décolle. Mais pas d’inquiétude, le président Diomaye Faye veille ! Il lui concocte des coopératives agricoles communautaires. Rien que le nom donne envie de s’inscrire. Il est dans l’innovation : 3 000 fermes intégrées vont pousser comme des champignons après la pluie, sur 15 000 hectares, avec des jeunes, des femmes, des rêves, et sûrement quelques chèvres bien briefées.
Côté armée, le discours rend un hommage appuyé aux Jambars. Que serait l’Armée sans eux ? Ces soldats de la paix, héros modernes, et bientôt peut-être ingénieurs en souveraineté technologique et industrielle. Oui, l’Armée version 2025, ce sera : drones, satellites, et probablement un peu de wifi dans les chars d’assaut. Le président Diomaye Faye leur a offert un hommage façon superproduction. Désormais, “piliers de la nation” et “remparts de notre quiétude”, nos soldats sont aussi en route vers l’ère du numérique : gilets pare-balles connectés, chars intelligents, et peut-être un bataillon de développeurs.
Puis, il y a les “autoroutes de l’eau”. Non, ce n’est pas une métaphore poétique, c’est un projet structurant ! Et pendant que vous essayez d’imaginer un péage aquatique à Kaolack, sachez que 15 millions de Sénégalais pourront bientôt boire l’eau de la République, filtrée par la transparence gouvernementale et bénie par un “Grand Transfert”. Une manière élégante de dire que le robinet ne fuira plus… peut-être. Tout cela géré dans une discipline budgétaire non négociable. Traduction : serrage de ceinture, mais c’est pour votre bien.
Enfin, dans un élan d’optimisme patriotique, le président a confié les rênes du grand dialogue national à son Premier ministre Ousmane Sonko, comme pour dire : “à toi les débats, moi les grands transferts d’eau”. Un séisme sémantique. Une innovation verbale d’envergure continentale : le président Diomaye Faye a prononcé le nom de son Premier ministre en direct dans un discours à la Nation. Depuis Senghor, les chefs d’État sénégalais avaient un « étrange » réflexe : parler de tout sauf de leur Premier ministre.
Une tradition de pudeur, diront certains. D’oubli stratégique, diront d’autres. Mais le président Diomaye Faye, fidèle à sa rupture systémique, a brisé le tabou avec la douceur d’un marteau piqueur : “J’ai récemment instruit le Premier ministre, Monsieur Ousmane Sonko, d’organiser la grande concertation nationale…”. Voilà, c’est fait. Ousmane Sonko, jusque-là omniprésent dans les rues, les réseaux et les débats, vient d’obtenir son « visa présidentiel officiel ». Mieux vaut tard que jamais.
Mais le vrai chef-d’œuvre du discours ne se limite pas à cette mention inédite. Non. Le président Diomaye Faye est allé encore plus loin : évoquer le plan de développement à son propre nom : le Plan Diomaye pour la Casamance. Oui, vous avez bien lu. Pas Plan Emergent, Plan Sénégal Vert, Plan Horizon 2035, Plan national de transformation du Sénégal 2050… Non. Plan Diomaye. Court, direct, centré. Ça claque comme un parfum révolutionnaire.
C’est un geste d’humilité… inversée. Car nommer un plan en son propre honneur, c’est faire preuve d’un sens aigu du branding présidentiel. Après tout, pourquoi laisser son nom à une avenue posthume quand on peut l’inscrire dans une stratégie régionale de réconciliation pendant son mandat ? Napoléon avait son Code, Senghor sa Négritude, Diomaye a son Plan. Mais allons ! Ne soyons pas mesquins. Ce double saut présidentiel – nommer son Premier ministre et s’autonommer planificateur régional – c’est une forme d’audace. Le genre d’audace qu’on attend d’un chef de l’État qui entend “changer les pratiques”. Et quoi de mieux pour commencer que de se nommer soi-même dans un plan de paix ? C’est à la fois efficace, symbolique… peut-être légèrement mégalo, mais dans la limite républicaine. Quand même.
Et comme il faut un peu de lumière divine dans tout ça, il insiste : “par la grâce de Dieu”, (mentionnée plus de cinq fois dans le discours), les prix vont baisser. Oui, “les baisses continueront”. Il n’a pas précisé lesquelles, mais si le prix d’autres « denrées de première nécessité » rejoignent celui du de riz brisé non parfumé indien, on saura vers quoi prier. « Inch’Allah » et « S’il plait à Dieu ».
Et pour finir, une touche de spiritualité : la fin du Ramadan, le Carême tombent ensemble. Une coïncidence divine, utilisée ici comme message de paix et d’unité. Amen et Amine.
En conclusion ? Un discours plutôt court mais dense, bien ficelé – comme un bon thiébou dieune : copieux, légèrement salé, avec quelques arêtes bien placées. Reste à voir ce qu’il sera dans un an. En attendant, le président peut se féliciter : il aura marqué l’histoire. Celle du Sénégal, bien sûr. Mais surtout, celle du “Moi-président-je-me-cite-et-je-vous-le-dis”.