Il y a un an, le Sénégal basculait dans une nouvelle alternance démocratique, à la suite d’un processus, certes agité, mais pacifique, porté majoritairement par les jeunes qui en ont même incarné le leadership. Les premiers mois d’exercice de pouvoir ont rapidement décelé des manquements dans la gestion des ressources publiques de toute nature. Qu’il s’agisse de gestion de ressources naturelles, financières, humaines et même matérielles, les diverses analyses situationnelles menées ont démontré ces manquements et, par ricochet, l’immensité des chantiers à déployer pour instaurer la bonne gestion des ressources publiques.
Toutefois, convaincu par le levier puissant de la globalité de l’Islam d’une part, et des enseignements stratégiques tirés de la tradition du prophète Mouhammad (Paix et Salut d’ALLAH sur Lui), ses illustres compagnons et les fidèles qui les ont suivis d’autre part, il reste indéniable que le Sénégal, serait inspiré d’appliquer ces pratiques pour mettre en place un système de gestion rigoureux et transparent des ressources publiques.
L’’histoire islamique regorge de nombreuses figures qui ont excellé dans la gestion des ressources publiques qui sont à juste titre des modèles pour tout gouvernant imbu des valeurs de probité et loyauté.
Le Prophète Muhammad (Paix Et Salut D’ALLAH sur Lui) est l’illustration parfaite du gestionnaire modèle. En tant qu’Imam et dirigeant des musulmans, il a supervisé l’établissement de la trésorerie publique et l’a confiée à ses compagnons pour l’application des principes qu’ALLAH (LE TOUT PUISSANT) Lui a insufflés.
‘Omar Ibn al-Khattab (qu’ALLAH soit satisfait de lui), deuxième Khalif de l’Islam, est aussi connu pour sa célèbre expression de reddition des comptes, en étant prompt à exiger à ses concitoyens, particulièrement ceux affectés à la gestion des affaires publiques, de fournir des justificatifs sur la provenance de leurs biens. Il avait l’habitude également de dire : « je ne suis pas plus digne que n’importe quel autre musulman de ces biens, et personne n’a droit à plus que sa part. »
Quant à Omar Ibn Abd al-Aziz (qu’ALLAH soit satisfait de lui), communément appelé le cinquième khalif, il est l’exemple accompli du dirigeant ayant accompli les missions qui lui étaient assignées grâce à sa gestion économique des ressources publiques irréprochable et qui contribué à éliminer la pauvreté et le chômage par la redistribution équitable des richesses à la population.
Plus récemment, au nord du Sénégal, le célèbre dirigeant Thierno Souleymane Baal, fondateur de la révolution torodo, sur la base des principes de gouvernance d’un état islamique, avait recommandé à la population de la localité de ne plus laisser au pouvoir un dirigeant dont la fortune s’accroît sans justification convaincante de la provenance de cette fortune et, le cas échéant, de confisquer l’ensemble des biens d’un tel dirigeant.
La place des biens publics en Islam :
Ces quelques illustrations démontrent parfaitement l’intérêt que porte l’islam aux ressources publiques et à leur gestion. Une revue bibliographique permet d’illustrer par les versets du Coran, des hadiths du Prophète (Paix Et Salut d’ALLAH sur Lui) ainsi que des écrits des savants en politique islamique, une description de leur typologie et des clarifications sur les règles qui s’y appliquent. De ces règles sont déduits les principes régissant les situations nouvelles en tenant compte des évolutions dans le temps afin de suivre les changements liés entre autres à l’époque, aux lieux et aux pratiques. Ainsi, l’Islam prend en compte, particulièrement, les trois règles suivantes :
- En raison des enjeux et des droits qui y sont associés, les ressources publiques appartiennent à ALLAH et sont à ce titre dénommées « biens d’ALLAH ». Cette appellation apparaît dans les textes du Coran et de la Sunna, et elle est couramment utilisée par les juristes financiers musulmans. ALLAH dit dans le Coran : {Et que ceux qui n’ont pas de quoi se marier, cherchent à rester chastes jusqu’à ce qu’ *ALLAH les enrichisse par Sa Grâce. Ceux de vos esclaves qui cherchent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous reconnaissez du bien en eux ; et donnez-leur des biens d’ALLAH qu’Il vous a accordés.} [An-Nour : 33]. De plus, Omar Ibn al-Khattab (qu’ALLAH soit satisfait de lui) a écrit à Mou’az Ibn Jabal et à Abou Oubayda Ibn al-Jarrah (qu’ALLAH soit satisfait d’eux) lorsqu’ils furent envoyés en Syrie : « Cherchez des gens vertueux de votre communauté et nommez-les à la justice, donnez-leur un revenu et élargissez-leur leurs moyens afin qu’ils soient riches grâce à l’argent d’ALLAH. »
- La gestion des ressources publiques s’avère donc une lourde responsabilité pour les dirigeants qui doivent en assurer une gestion fidèle. Ces derniers doivent faire face à la tentation de les convoiter et doivent se garder de les détourner de leurs objectifs qui est de soutenir les communautés et ne doivent ainsi pas être utilisés à des fins personnelles. ALLAH dit : {Certes, ALLAH vous commande de rendre les dépôts à leurs ayants-droits et, quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité. Quelle bonne exhortation qu’ALLAH vous fait ! ALLAH est, en vérité, CELUI qui entend et qui voit tout.} [An-Nisa: 58]. Ibn Taymiyya (RA) considère ce verset comme un principe fondamental des obligations des dirigeants, qui doivent rendre compte de biens et de leur gestion qui leur est confiée.
- La préservation des ressources de toute nature et, en particulier, des biens de la communauté fait partie des nécessités fondamentales. ALLAH dit : {Et ne confiez pas aux incapables vos biens dont ALLAH a fait votre subsistance. Mais prélevez-en, pour eux, nourriture et vêtement ; et parlez-leur convenablement.} [An-Nisa: 5]. Selon Al-Qourtoubi et Al-Alousi, cette richesse est celle sur laquelle repose la stabilité de la vie et des religions.
L’obligation de préserver les biens publics :
La préservation des ressources publiques est, dès lors, une responsabilité prioritaire que l’Islam a confié à tout dirigeant. En effet, une fois réussie, elle permettra d’assurer le bien-être et les besoins des populations par la souveraineté qu’elle assure, la sécurité alimentaire qu’elle garantit et le redressement qu’il permet par la résolution des grands défis liés à la prise en charge du personnel de l’administration publique , la construction d’infrastructures stratégiques (écoles, hôpitaux, routes, l’accès à l’eau, l’électricité, …), et l’équipement des forces de sécurité afin de protéger la nation et les populations.
Compte-tenu de toutes ces raisons, l’islam recommande ainsi un certain nombre de mesures visant à préserver les ressources publiques. Dans un contexte sénégalais, sans être exhaustifs, nous pouvons recommander un certain nombre de mesures :
- Instaurer des valeurs d’intégrité et de responsabilité dans l’enseignement de base. Il est nécessaire de cultiver des valeurs d’intégrité, d’abnégation et de responsabilité chez les jeunes générations en incluant ces valeurs dans les curricula. Une telle pratique leur permettra d’appliquer naturellement ces valeurs lorsqu’ils occuperont des fonctions dans l’administration publique. ALLAH nous a rapporté les enseignements de Louqman à son fils : {Ô mon enfant, fût-ce le poids d’un grain de moutarde, au fond d’un rocher, ou dans les cieux ou dans la terre, ALLAH le fera venir. ALLAH est infiniment Doux et Parfaitement Connaisseur.} [Louqman : 16]. Le Prophète Mouhammad (Paix Et Salut d’ALLAH sur Lui) a aussi dit : « Ô jeune homme, garde ce que ALLAH t’a ordonné de préserver, et tu trouveras ALLAH près de toi. »
- Nommer des gestionnaires de ressources publiques compétents et intègres. La gestion des biens publics doit être confiée à des personnes compétentes et honnêtes, afin d’éviter les gaspillages, les détournements ou la malhonnêteté. ALLAH dit à propos de Youssouf (P) : {Et [Youssouf dit : « Assigne-moi l’administration des réserves de la terre : je suis bon gardien et connaisseur. »} [Youssouf : 55]. Ce verset souligne l’importance de l’intégrité et des compétences dans la gestion des biens publics.
- Les responsables doivent rendre compte de ce qui leur a été confié. Chaque responsable doit remplir son devoir et rendre compte de de sa gestion. ALLAH dit : {Et si vous êtes en voyage et ne trouvez pas de scribe, un gage reçu suffit. S’il y a entre vous une confiance réciproque, que celui à qui on a confié quelque chose la restitue ; et qu’il craigne ALLAH son SEIGNEUR.} [Al-Baqara : 283]. Cela s’applique à toutes les formes de responsabilité et, principalement à la gestion de deniers publics.
- L’impérieuse responsabilité des dirigeants : afin de prévenir toute négligence, les autorités doivent contrôler, suivre et évaluer sans complaisance, la gestion des ressources publiques par les agents à qui ils ont confié des responsabilités. C’est là le sens de l’acte posé par le Khalif ‘Omar Ibn al-Khattab (qu’ALLAH soit satisfait de lui) qui exigea à Abou Houraira (qu’Allah soit satisfait de lui), en sa qualité de gouverneur, de justifier sa fortune puis en retira une partie restituée au trésor public.
- Des sanctions doivent être prises et appliquées en cas de négligence dans la gestion des ressources publiques. Cette punition pour négligence dans la gestion des biens publics est une décision dont l’application discrétionnaire (par le dirigeant), est faite en fonction de la gravité du manquement, et a pour soubassement les principes de la loi islamique et les règles administratives en vigueur.
- Chaque membre de la société a une responsabilité dans la préservation des biens publics et doit encourager les dirigeants à agir conformément aux principes islamiques de vertu et d’’équité. Le Prophète (Paix Et Salut d’ALLAH sur Lui) a dit : « Si vous voyez un mal, changez-le de vos mains… ». Il a dit aussi : « La religion est un conseil. »
Enfin, il convient de mentionner clairement que, vis-à-vis d’ALLAH (loué soit-il), la négligence dans la gestion des biens publics est un péché majeur, et ceux qui en sont responsables encourent une punition sévère, sauf s’ils se repentent.
ALLAH dit : {Ô les croyants ! Que les uns d’entre vous ne mangent pas les biens des autres illégalement. Mais qu’il y ait du négoce (légal), entre vous, par consentement mutuel. Et ne vous tuez pas vous-mêmes. ALLAH, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est facile pour ALLAH.} [An-Nisa : 29-30]. Le Prophète (Paix Et Salut d’ALLAH sur Lui) a averti : « Il y a des gens qui se saisissent des biens d’ALLAH sans droit ; pour eux, l’Enfer sera leur sort. »
Ces exemples sont convoqués pour montrer l’importance de préserver les biens publics en Islam et le devoir de responsabilité des gestionnaires de ressources publiques. Il est essentiel de promouvoir cette prise de conscience et d’intégrer les principes islamiques dans les politiques publiques, afin d’assurer une gestion efficace et juste des ressources pour le bien-être de la communauté. Notre pays, le Sénégal, gagnerait ainsi à intégrer ce modèle dans la dynamique de réforme qui est enclenchée depuis un certain temps. Le Jub – jubal – jubbanti en tirera force et vigueur pour le bien du pays tout en entier.
Par Dr Ndiogou Mbacké Samb (Juriste islamique, enseignant chercheur, auteur)
& Dr Mouhammad Al Amine Gueye (chercheur, socioéconomiste, planificateur)