Infos hebdomadaires de Transparency International : « Le pot à biscuits de l’immobilier »

Nous sommes en 2025, et il est encore possible d’acheter des biens immobiliers de luxe dans les grandes économies sans révéler l’identité de l’acheteur. Est-ce un oubli ou une invitation à ceux qui cherchent des moyens de blanchir de l’argent sale ?

Le blanchiment d’argent via l’immobilier n’est pas un crime sans victimes. Il peut fausser le marché immobilier, gonfler les prix et exclure les habitants de leurs villes. Il peut permettre aux kleptocrates d’asseoir leur pouvoir et de drainer les ressources publiques des pays les moins en mesure de le faire.

La publication cette semaine passée du tout premier indice d’opacité de la propriété immobilière (OREO) offre l’une des vues les plus claires à ce jour sur la mesure dans laquelle la plupart des grandes économies mondiales ne parviennent pas à prendre des mesures pour empêcher l’argent sale d’entrer sur leurs marchés immobiliers.

Produit par Transparency International et l’Anti-Corruption Data Collective, cet indice classe 24 pays – dont des membres du G20 et plusieurs grands centres financiers – selon la portée et l’accessibilité de leurs données immobilières, ainsi que la solidité de leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent dans le secteur immobilier. Ces deux éléments sont essentiels pour détecter et décourager les flux illicites d’investissement dans l’immobilier.

Les résultats sont graves, voire surprenants. Aucun pays n’a obtenu la note parfaite de dix sur dix. Dix ont obtenu une note inférieure à cinq, ce qui suggère que leurs portes sont grandes ouvertes aux fonds suspects. Le pays le plus performant est l’Afrique du Sud, suivie de Singapour et de la France. L’Australie, quant à elle, se retrouve en queue de peloton, suivie de près par la Corée du Sud et les États-Unis.

Même dans les pays qui ont obtenu des résultats supérieurs à la moyenne, les mesures de transparence restent insuffisantes dans la plupart des cas, et les failles réglementaires sont suffisamment larges pour permettre à des milliards de richesses suspectes d’affluer dans l’immobilier sans être détectées

Ce n’est pas une abstraction. En pratique, la faiblesse de la réglementation fait que l’immobilier continue de servir de blanchisserie pour les fonds publics pillés. Cas après cas, des fonctionnaires corrompus ont été découverts détournant des milliards des caisses publiques pour les cacher dans des immeubles.

Transparency International a récemment identifié 121 biens, d’une valeur d’au moins 560 millions de dollars , prétendument liés à la corruption originaire d’Afrique, puis dissimulés dans des juridictions offshore prospères. Prenons un exemple frappant : Denis-Christel Sassou Nguesso, le fils du président de la République du Congo, aurait détourné des millions de dollars de fonds publics du pays . Il aurait blanchi cet argent via des sociétés écrans pour s’emparer de propriétés de luxe, dont un penthouse à Miami, des biens immobiliers à Dubaï et un hôtel particulier à Paris , saisi par les autorités en 2022.

Le cas de Sassou Nguesso s’inscrit dans une tendance plus large. L’indice OREO montre clairement que le contrôle réglementaire du secteur immobilier est lacunaire et que de nombreux pays riches ne prennent pas les mesures adéquates pour empêcher l’investissement d’argent sale dans l’immobilier. Dans de nombreux pays, il est encore possible d’acquérir des biens immobiliers par l’intermédiaire de sociétés anonymes, sans obligation de dévoiler le nom du bénéficiaire effectif. Lorsque la divulgation est requise, les informations sont souvent enfouies dans des registres fragmentés ou tenues hors de portée du public, empêchant ainsi les organismes de surveillance d’identifier les cas suspects.

L’environnement réglementaire des professionnels impliqués dans les transactions immobilières est tout aussi incohérent. Les avocats, les agents immobiliers et les promoteurs, qui devraient jouer un rôle de gardiens, ne sont pas uniformément soumis aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent.

Ce qui rend les conclusions de l’indice OREO si frustrantes, c’est qu’elles font suite à des années d’engagements internationaux visant à résoudre ces mêmes problèmes. Les pays du G20 – dont beaucoup figurent parmi les plus grands contrevenants de l’indice – se sont déjà engagés à améliorer la transparence de la propriété effective et à lutter contre le blanchiment d’argent via l’immobilier. Il est temps qu’ils concrétisent leurs engagements et s’engagent mutuellement à les mettre en pratique. Si le Groupe d’action financière a révisé les normes mondiales sur la transparence de la propriété effective, il pourrait être amené à envisager des recommandations spécifiques sur la transparence dans le secteur immobilier.

Nous continuerons de mettre en lumière les failles qui permettent à la corruption de prospérer sur les marchés immobiliers et nous continuerons d’inciter la communauté internationale à les combler. Sans une action coordonnée à l’échelle mondiale, les marchés immobiliers mondiaux resteront un véritable coffre-fort pour l’argent sale. Et le message adressé aux corrompus restera sans équivoque : votre argent est le bienvenu ici.

Transparency International

Pape Ismaïla CAMARA
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