La politique à Ndumbelaan, un nouveau genre artistique Par Khady Gadiaga

La politique sous le règne de Macky Lamtoro Sall s’est avérée être du spectacle vivant et la justice tout comme les médias, un art consommé de la mise en scène.

La question de savoir si les controverses et les scandales dans la vie politique contemporaine sénégalaise suscitent des mécanismes semblables à l’écriture théâtrale est de mise. De quoi s’interroger sur le rôle des acteurs de la vie politique, voire même de l’acteur judiciaire ou de l’homme de média, aujourd’hui sur la sellette et s’ils peuvent être considérés comme des arbitres finaux dans les querelles dramaturgiques actuelles.

Tout débat, dans la mesure même où il ne porte plus sur des vérités et en particulier sur des vérités de fait, porte donc sur des entités verbales ou visuelles qui ne relèvent d’aucune forme de vérité, mais d’une forme tout à fait singulière de « fictionnalité ».

Sans doute est-ce dans le domaine du dialogue politique si prisé par le roi que le théâtre moderne a le plus souvent modifié les règles traditionnelles de la parole et de sa circulation, en élargissant le système de conventions de l’énonciation au brouillard et à l’enfumage.

Le « théâtre politique » auquel nous avons droit n’est qu’un sous-genre théâtral et une étiquette souvent plus apposée de l’extérieur que revendiquée par les acteurs politiques. La politique a depuis toujours été abordée par le théâtre. Réciproquement, la politique est pleine de métaphores et expressions qui viennent du monde du théâtre. « La scène politique », « les acteurs politiques », l’exclamation « c’est du théâtre » accolée à tel ou tel responsable ou événement politique, reviennent très souvent dans les conversations et les analyses, et des notions comme « politique spectacle » ou

« bête de scène », plus circonscrites, sont cependant spontanément compréhensibles par tous les citoyens. Ce langage a une vocation descriptive mais aussi évaluative, et il a très souvent une connotation péjorative.

L’exacerbation de la mise en spectacle de la politique par le régime mackyste

Sous le magistère du Président Macky Sall, la mise en spectacle de la politique s’est accentuée progressivement au même titre que les postures liberticides et les dérives autoritaires. Elle est pleinement assumée en coulisse par les représentants et leurs conseillers en communication, mais elle est déniée ou très rarement thématisée publiquement de façon réflexive par les acteurs politiques, fussent-ils des critiques radicaux du système en place.

Cette évolution contraste fortement avec la place éminente qu’occupe la réflexion critique de la représentation théâtrale sur l’acte de représentation – une réflexion qui passe également par des dynamiques d’hybridation avec d’autres genres de représentation artistique, à commencer par la vidéo. Parallèlement, avec le passage du centre de gravité de l’activité publique de représentation de l’hémicycle parlementaire à la télévision, les modes de mise en spectacle de la politique et le jeu de ses « acteurs » se rapprochent davantage de ceux des films d’action du cinéma et voire même du cirque que de ceux du théâtre.

Une dramatisation grotesque et outrancière de la chose publique

Les faits politiques construisent leur dramaturgie sur la mise en scène d’une mise en crise du politique. Le système politique de nos gouvernants ne semble pas être en crise parce qu’il aurait perdu une nature qu’il pourrait réussir à récupérer, mais parce qu’il a subi une profonde mutation, dans laquelle la production théâtralisée et permanente de sa crise se dresse comme un élément fondamental qui lui permet de se reproduire et de remplir l’une de ses fonctions fondamentales : générer de la désaffection.

Les actes politiques développent des situations dramatiques sur le mode de l’excès, où sont amplifiés le pouvoir arbitraire de la dictature émergente et l’horreur des manipulations psychiques.

En prise avec la réalité, on peut allègrement interroger par exemple le concept de République au travers d’une dramatisation grotesque et outrancière d’une gestion si peu vertueuse de la chose publique en mêlant, de manière singulière, la violence et la dérision, la cruauté et la légèreté.

Les questionnements politiques sont donc loin d’être mineurs. Au contraire, ils circulent bien aussi bien chez nous qu’en terre africaine, mais c’est sur le mode de l’exagération bouffonne. Un excès dont le débordement a tôt fait de basculer du côté du ridicule grotesque.

La singularité de ces nouvelles dramaturgies réside en effet dans le réinvestissement de l’esthétique grotesque dans des profondes interrogations politiques et philosophiques.

La perversion du pouvoir s’insinue alors dans une parole désarticulée, hybride, qui fait une large place aux processus de défiguration et à l’esthétique de la farce et de l’absurde.

La mise en scène grotesque des discours et des actions politiques interroge bien le sens et le devenir du politique. Si elles ne livrent pas de discours frontal, elles n’excluent pas un regard critique. Toutes ces comédies ou farces ubuesques contemporaines donnent souvent à voir la perte du sens politique en lien avec ce puissant sentiment d’irréalité de la vie.

Mais au-delà, le débat politique croise le débat esthétique. Il faudrait ajouter que la question du politique est inséparable de la question esthétique.

Finalement la morale de cette tirade n’est pas seulement de se faire une religion sur la théâtralité de l’espace politique mais qu’il convient aussi que l’entourage du roi ne soit pas uniquement composé de courtisans, qu’il puisse bénéficier d’une parole suffisamment libre pour lui asséner quelques vérités.

Tel devrait être le rôle des bouffons entre autres médiateurs et conseillers si nombreux du roi. Tant qu’il y aura un « roi», si peu

« sérieux». L’idéal restant bien entendu que tout le monde soit un peu bouffon et que le roi se montre plus sagace et moins royal.

K.G 15 février 2024.

 

Dieyna SENE
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