*Le salaire des subterfuges présidentiels …Ces histoires renversantes !» Par Chidi Anselm Odinkalu*

Le soir du 5 avril 2012, le journal télévisé de la Malawi Broadcasting Corporation (MBC) annonçait en prime time que le président, le professeur Ngwazi Bingu wa Mutharika, « était tombé malade et avait été transporté par avion en Afrique du Sud pour y recevoir des soins spécialisés ». À l’autre bout de la capitale, Lilongwe, un convoi présidentiel était en route vers l’aéroport international de Kamuzu (KIA), où une ambulance aérienne l’attendait avec pour instruction d’acheminer vers l’Afrique du Sud un président supposé vivant mais souffrant.

Plus tôt dans la journée, vers 11 h, le professeur Ngwazi Bingu s’était effondré alors qu’il recevait en audience la députée représentant la circonscription du sud-est de Lilongwe, la capitale, Agnes Penemulungu.

La commission d’enquête judiciaire, qui a ensuite examiné les événements, a reçu des preuves démontrant clairement que la Cour présidentielle ne s’était pas préparée à une éventuelle situation d’urgence vitale impliquant le président. Elton Singini, un juge de haut rang, a présidé l’enquête.

La commission d’enquête a établi que le président était décédé plus tôt dans la journée dans l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital central de Kamuzu, dans la capitale. Selon le rapport d’enquête, « le président a été amené mort à l’hôpital central de Kamuzu [KCH] vers 11 h 25 » le 5 avril.

Au moment du bulletin d’information annonçant son rapatriement par avion en Afrique du Sud plus tard dans la journée, le président Bingu était décédé depuis plus de huit heures. Bien qu’informée de cette situation, la suite présidentielle a ordonné au personnel hospitalier de pratiquer la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) sur la dépouille du président pendant plus de deux heures. Ce faisant, ils ont brisé sa cage thoracique.

La suite allait suivre. À l’aéroport, les pilotes de l’ambulance aérienne sud-africaine ont refusé d’embarquer le corps, prétextant qu’ils avaient l’autorisation de voler avec un patient et non un corps.

Des discussions de haut niveau ont eu lieu entre Lilongwe et Pretoria. Le fait que le ministre des Affaires étrangères du Malawi de l’époque, Peter Mutharika, frère cadet du président Bingu, souhaitait lui aussi succéder à son frère récemment décédé, a peut-être contribué à cette décision, et a certainement été pertinent. Peter avait besoin de temps pour se mettre en route et devancer la vice-présidente Joyce Banda dans la course à la succession.

Le président sud-africain, Jacob Zuma, qui s’était retiré pour la journée, a dû être réveillé pour autoriser personnellement le vol. Peu après minuit, le 6 avril 2012, l’ambulance aérienne a décollé pour l’Afrique du Sud. Au Malawi, on a informé la population que son président se rendait en Afrique du Sud pour y recevoir des soins médicaux.

En Afrique du Sud, les autorités savaient que l’ambulance aérienne, en provenance de Lilongwe, arriverait avec le corps du président malawite. Peu après 2 h 30 le 6 avril, l’avion a atterri sur la base aérienne de Waterkloof, gérée par la Force de défense nationale sud-africaine (SANDF), en périphérie de Pretoria. De là, le corps a été transféré à la morgue.

Les auteurs de cette machination malveillante visant à tromper le peuple malawite ont cependant oublié d’informer également les services de biochimie. À son arrivée à la morgue en Afrique du Sud, le corps était resté « à l’air libre, sans réfrigération, pendant environ 18 heures après le décès ».

De ce fait, les invités prestigieux aux funérailles nationales du président Bingu, qui ont eu lieu le 23 avril 2012, ont dû endurer la désagréable compagnie des mouches et l’odeur enivrante de la putréfaction humaine. Comme l’indique le rapport de la commission d’enquête du juge Elton Singini, « le corps avait commencé à se décomposer, comme en témoignent l’odeur et les quelques mouches qui rôdaient autour ».

Quatre ans plus tôt, en août 2008, Levy Mwanawasa, président de la Zambie voisine, décédait dans un hôpital militaire près de Paris, en France. Alors qu’il participait au sommet de l’Union africaine au Caire, en Égypte, le 29 juin 2008, le président Mwanawasa s’était effondré suite à ce qui a été plus tard considéré comme un anévrisme (accident vasculaire cérébral). Il y a été stabilisé avant d’être transféré en France, où il est décédé deux mois plus tard. À sa mort, il a été révélé que deux ans plus tôt, lors de son premier mandat présidentiel en 2006, le président Mwanawasa avait subi un accident vasculaire cérébral. Pour cela, il avait bénéficié d’un traitement prolongé au Royaume-Uni. Personne n’en avait informé les Zambiens.

L’année suivant la mort du président Mwanawasa, en juin 2009, Omar Bongo, qui avait dirigé le Gabon pendant 41 ans, est décédé dans un hôpital en Espagne. Lorsqu’il a quitté Libreville au début du mois précédent, ses compatriotes ont cru que leur président, doyen et favori de France Afrique, était en visite de travail – une expression trop familière aux Nigérians – dans ses lieux de prédilection en Europe. À sa mort, on a appris que plus d’un mois auparavant, le président Bongo avait été hospitalisé en Espagne pour un cancer.

Le président Bongo n’était pas le dernier président africain de longue date à mourir en Espagne. Le 8 juillet 2022, l’ancien président angolais, José Eduardo dos Santos, y est également décédé après un long traitement contre le cancer. Après son décès, une crise familiale a éclaté au sujet de ses funérailles, ce qui a retardé le rapatriement de sa dépouille à Luanda de plus d’un mois. Six semaines après sa mort, au cours de la troisième semaine d’août 2022, un juge espagnol a finalement autorisé le retour du corps du président dos Santos en Angola pour y être inhumé.

Lors de son départ d’Abuja le 2 avril, la présidence a publié un communiqué affirmant que Bola Ahmed Tinubu, le président du Nigéria, se rendait en France pour une « brève visite de travail », au cours de laquelle il « se retirerait pour examiner l’avancement des réformes en cours et entreprendre une planification stratégique en vue du deuxième anniversaire de son administration ».

Le communiqué s’est à peine arrêté à annoncer aux Nigérians que leur président se rendait à Lourdes pour la grâce de ses apparitions historiques. Le président Tinubu est musulman ; C’était en plein Carême chrétien et personne ne s’était apparemment donné la peine de l’informer, ni lui ni ses créateurs d’image, que ce sont généralement les chrétiens qui entreprennent des retraites de deux semaines en cette période.

Le lendemain de la fin des 14 jours initialement annoncés, la même suite présidentielle a révélé que le président avait quitté la France pour le Royaume-Uni, d’où il accomplissait un excellent travail en tant que président du Nigeria en Europe.

Il semble indéniable que le président Tinubu souffre de graves problèmes de santé et nécessite des soins médicaux réguliers de la part de médecins étrangers. Pour cette raison, sa destination de choix est clairement la France. En 22 mois de présidence, Tinubu a effectué au moins huit voyages en France sous différentes formes, pour une durée cumulée de plus de 60 jours.

Pendant son absence, des centaines, voire davantage, de Nigérians ont été tués dans des massacres dans différentes régions du pays. En tant que président, Tinubu est également le commandant en chef des forces armées et de sécurité nigérianes. Pourtant, depuis l’Europe, il semblerait qu’il renvoie la balle aux gouverneurs des États pour qu’ils accomplissent ce que lui seul est habilité à accomplir en vertu de la constitution nigériane.

Si l’on exclut les cinq ans et trois mois de la présidence de Goodluck Jonathan, de février 2010 à mai 2015, le Nigéria a connu une présidence qui occupe quasi-permanemment des sanatoriums à l’étranger depuis 15 ans. Le Congrès d’action du Nigéria (ACN), dirigé par Tinubu, s’est montré très volubile en demandant la franchise sur l’état de santé du président Umaru Yar’Adua, en phase terminale, prédécesseur de Jonathan. Après avoir fusionné avec le Congrès pour le changement progressiste (CPC) de Muhammadu Buhari pour créer le Congrès de tous les progressistes (APC), la coalition a profité de l’absence de surveillance de Buhari lorsque celui-ci a résidé dans des hôpitaux étrangers pendant une grande partie de sa présidence.

Il est bien connu qu’un homme de l’âge du président Tinubu est malade. Ceux qui s’efforcent de dissimuler cette réalité aux Nigérians sont davantage soucieux de protéger leurs avantages actuels que du bien-être de leur mandant ou du pays.

 

La présidence est bien plus qu’une simple fonction. Pour son entourage, elle est aussi synonyme d’argent, de pouvoir et de privilèges. Pour préserver cette fonction, la plupart des personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de la présidence, prennent des libertés, parfois même avec la santé et le bien-être de leur mandant ou avec la responsabilité envers ceux au nom desquels le président exerce ses fonctions. Pour le pays, et même pour le président, les revenus de cet interminable subterfuge sont prohibitifs.

Chidi Anselm Odinkalu

Avocat et enseignant, Odinkalu peut être contacté à l’adresse chidi.odinkalu@tufts.edu.

Momar Diack SECK
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