L’économie est partout : elle explique les prix qui augmentent, les politiques du chômage ou encore les décisions de taxation des gouvernements. Mais est-elle vraiment une science comme les autres ? À première vue, les économistes utilisent des modèles mathématiques, des graphiques et des données chiffrées, comme un physicien ou un biologiste. Pourtant, derrière cette apparence se cache une discipline bien particulière, à la frontière entre objectivité et subjectivité. Voyons pourquoi.
- L’économie n’est pas la physique.
La physique étudie des lois universelles : la gravité, la vitesse de la lumière, etc. Ces phénomènes sont constants et reproductibles en laboratoire. En économie, c’est différent. On y étudie des comportements humains dans des contextes historiques, culturels et sociaux uniques. Par exemple, une hausse des taux d’intérêt n’aura pas les mêmes effets en temps de crise qu’en période de prospérité. Il est donc impossible de reproduire une expérience économique à l’identique : les êtres humains apprennent, s’adaptent et leurs choix sont influencés par leurs expériences passées.
Résultat ? L’économie peine à établir des lois éternelles et universelles.
- Le normatif : Il décrit ce qui devrait être. Exemples : « Le chômage a baissé de 2 % l’an dernier », « Une hausse des taxes sur le tabac réduit la consommation ». Ces énoncés sont vérifiables et objectifs.
Le normatif : Il juge de ce qui devrait être. Exemples : « Il faut taxer les riches pour réduire les inégalités » ; « L’État doit baisser les impôts pour stimuler l’économie ». Ces affirmations contiennent des valeurs, des préférences politiques ou morales.
Le problème ? Les économistes, même de bonne foi, mélangent parfois les deux. Une analyse sur la pauvreté peut sembler neutre (« Les inégalités ont augmenté »), mais dès qu’on propose une solution (« Il faut instaurer un revenu universel »), on entre dans le normatif. Or, ce passage de l’observation à la recommandation est souvent implicite, brouillant ainsi la frontière entre science et opinion.
- Les économistes : scientifiques ou conseillers politiques ?
Historiquement, les économistes ont toujours été proches du pouvoir. Ils conseillent les gouvernements, influencent les lois et leurs théories orientent des choix cruciaux (réformes fiscales, politiques sociales, etc.). Cependant, cette proximité soulève une question : peuvent-ils rester neutres ?
Prenons un exemple. Un économiste étudie l’impact d’une hausse du salaire minimum. Son analyse positive montre qu’elle pourrait réduire la précarité, mais aussi augmenter le chômage. Pourtant, lorsqu’il recommande de l’appliquer (ou de s’y opposer), il bascule dans le normatif : il choisit alors implicitement de prioriser la justice sociale ou l’emploi.
- Pourquoi cette ambiguïté nous concerne-t-elle tous ?
Lorsqu’un économiste affirme : « Cette politique est efficace », demandez-vous toujours : « Efficace… pour quoi ? Selon quels critères ? ». Car derrière chaque « fait » économique se cachent des choix de société. La croissance est-elle plus importante que la protection de l’environnement ? Faut-il privilégier l’équité ou la liberté individuelle ? Ces questions n’ont pas de réponse purement « scientifique ».
Conclusion : apprenons à décoder le langage économique.
L’économie n’est pas une science exacte, mais cela ne la rend pas moins précieuse. Elle nous aide à comprendre le monde, à condition de rester vigilants :
Soyez curieux : cherchez les données derrière les affirmations ;
Soyez critiques : identifiez les jugements de valeur cachés dans les discours ;
Soyez réflexifs : interrogez vos propres convictions lorsque vous évaluez une politique économique.
En somme, l’économie est un outil puissant, mais son utilisation dépend de ceux qui la manipulent. Comme le disait l’économiste Joan Robinson : « L’économie est une science morale. Elle traite de problèmes pratiques, pas de vérités éternelles. » À nous de savoir en tirer le meilleur parti.
Chérif Salif Sy