Loi d’amnistie : Des universitaires crient à un second assassinat des martyrs de 2021 à 2024

Vox Populi- Loi d’amnistie ou second assassinat des martyrs de 2021 à 2024 ? Les deux notions ne sont pas distinctes aux yeux des membres du Collectif des Universitaires pour la Démocratie (CUD). Dans un manifeste qu’ils ont entrepris de faire signer par leurs compatriotes sénégalais, ces universitaires notent que c’est parce que l’amnistie du président Macky Sall est une «invite à l’amnésie», que sa vraie nature n’est autre qu’«un permis de tuer». Un tel dessein ne devrait prospérer, refusent-ils cependant.

D’ailleurs, ils soulignent que l’adoption du projet de loi portant amnistie «devra entraîner nécessairement une saisine du Conseil constitutionnel qui pourrait invalider le texte sur le fondement de principes fondamentaux du droit pénal comme le principe de nécessité».

De surcroît, faut-il rappeler que la lutte contre l’impunité a permis d’apporter des limitations «ratione materiae» de l’amnistie en ce qui concerne les crimes supranationaux, souligne le CUD. Il note pour le rappeler aussi que le Comité contre la torture avait recommandé l’exclusion de la torture du champ des lois d’amnistie (rapport sur l’Azerbaïdjan, A/55/44.15).

Ce collectif croit savoir que la jurisprudence va dans le même sens d’un recul des amnisties pour les crimes internationaux. En atteste, selon lui, l’Affaire Ely Ould DHA «qui a entraîné la remise en cause d’une loi d’amnistie».

Par-delà, même dans l’hypothèse d’une validation constitutionnelle, il soutient qu’«aucune disposition ni principe ne s’opposerait à une abrogation de l’amnistie après l’élection d’un nouveau président soucieux de rétablir une orthodoxie dans la mise en œuvre des principes qui guident la responsabilité pénale».

Ayant pour objet la matière pénale, l’amnistie préoccupe la morale publique et particulièrement les valeurs essentielles de notre société démocratique, déclarent ces universitaires. Ils trouvent que le respect que devrait inspirer la préservation de la dignité de la personne humaine est aux antipodes d’une éventuelle légitimation d’arrestations arbitraires, d’actes de tortures et de barbarie envers des citoyens.

«Quelles formes de solidarités juridiques entretenons-nous avec nos concitoyens victimes de meurtres, de blessures physiques et psychologiques, d’emprisonnements injustifiés, de destructions de leurs biens… ?», s’interrogent-ils. Une des fonctions du droit pénal étant la délimitation rationnelle de la sphère de liberté par l’identification des tabous, une telle discipline répare, à cet effet, les vulnérabilités en sanctionnant les déviants et les transgresseurs, indiquent-ils.

Selon eux, cette promesse de justice assignée à la matière pénale est un des garants du contrat social. «Une loi d’amnistie aux relents foncièrement politiciens rend perméable la morale publique et, par voie de conséquence, rend fongible le vice et la vertu», déclarent-ils.

Voilà pourquoi, le CUD prévient que les «promoteurs» de cette loi ne devraient pas ignorer que «Rien ne peut faire que ce qui a été n’ait été». En somme, il estime que si ce projet de loi devait advenir, les députés sont invités à se remémorer le célèbre poème de Birago Diop «les morts ne sont pas morts».

Un pacte  républicain «odieux et innommable»

Au-delà, le CUD est d’avis qu’une telle amnistie rendrait tout accès «impossible» à notre Mémoire qui est un patrimoine immatériel «essentiel» pour faire advenir une communauté nationale. De même que l’usage politicien de l’amnistie constitue «une défiance au Temps en ce qu’il brûle les archives d’un Peuple et, par voie de conséquence, brouille toute perspective de réalisation d’un avenir collectif empreint de sérénité et d’apaisement. Un tel pacte républicain semble odieux et innommable», selon le CUD.

D’un point de vue anthropologique, poursuit-il, l’existence programmée de cette loi amnistiante questionne nos rapports au Réel. «Depuis mars 2021, notre société sénégalaise est dans une temporalité bestiale, animalière ; notre partie la plus monstrueuse a pris le dessus sur notre bienveillance et empathie certes parfois exagérées. La manipulation politicienne de l’amnistie est constitutive d’un mauvais tabou en ce qu’elle interdit à une société de dialoguer avec ses propres démons», fait-il constater.

Admettant que toute communauté humaine génère des monstres, le CUD note toutefois que les ignorer contribue «à faire du mensonge un élément essentiel de notre ordre symbolique». Il souligne que la loi d’amnistie relative aux infractions commises depuis 2021 est une «prohibition à investir le passé» et, ce faisant, «obstrue l’accès à la vérité» en remettant en cause ses fonctions instituâtes. «Ce détournement de l’institution de l’oubli pour assurer l’impunité de hauts responsables étatiques est une menace au narratif républicain fondé sur une idée de vertu et de justice», fustige le CUD.

Ses membres soutiennent qu’analysé à partir d’un prisme propre à la philosophie juridique, le projet de loi d’amnistie fragilise la vision consistant à admettre la nation comme une communauté liée par un ordre légal. «Si tous les vices et tortuosités pouvaient être effacés par des lois, ces dernières perdraient leur sacralité ainsi que leur rationalité», déclarent ces universitaires militants de la démocratie.

Pape Ismaïla CAMARA
Up Next

Related Posts