Maturité collective … Par Samboudian Kamara

On ne connait le prix de l’eau que lorsque le puits est à sec.

Quel argument avancer pour éclairer l’avantage d’être Sénégalais aujourd’hui ? Assurément, le sentiment d’être d’un pays uni alors qu’ailleurs, les contradictions se réveillent, les identités sont tendues et les replis de mode. Si, historiquement, notre vécu a pu se lire avec 1960 comme point focal, aujourd’hui, il n’est pas interdit de voir dans le Sénégal précolonial, les vrais ancrages de ce « commun vouloir de vie commune » ; en atteste le renouveau des récits sur les brassages séculaires qui nous font habiter depuis la nuit des temps partout à la fois sur ce bout occidental d’Afrique, qui nous font percevoir chez le compatriote un peu de nous-mêmes, à espérer de lui comme lui est en droit d’attendre de nous, « épaule contre épaule ».

C’est sans doute dans ces mémoires que l’on retrouve l’énergie pour, à chaque fois, repartir du bon pied, et maintenir nos murs intacts. L’avantage d’être Sénégalais aujourd’hui, c’est effectivement d’appartenir un pays en paix, démocratique, tolérant et ouvert ; c’est de s’y sentir libre et de partager cette liberté avec ses concitoyens. Un pays où l’Etat est de Droit. Ce n’est pas rien. Il faut savoir l’apprécier pour envisager avec optimisme l’horizon de nos possibles.

65 ans après sa souveraineté internationale, le Sénégal vit donc intensément sa trajectoire dans le concert des nations. Un pays en train de dérouler une initiative politique inédite en Afrique avec l’arrivée à sa tête d’un courant politique souverainiste après des élections transparentes mais hélas émaillées de morts, comme si notre démocratie portait une tare, maladie sournoise se réveillant par à-coups, affection dont le traitement doit être quotidien, d’abord par la parole désinfectée, ensuite par la culture de la tolérance et l’éducation à la citoyenneté.

La conscience d’un pays qui doit rassembler ses forces peine à émerger dans la clameur numérique, mais elle sourd en chacun de nous, à chaque fois que l’on détache notre attention des téléphones, à chaque fois que le retard réflexif permet de mesurer le chemin parcouru et l’ampleur du reste.

Le Président de la République a parlé à ses compatriotes jeudi soir dans un contexte particulier. Il a rappelé nos fondamentaux et s’est projeté sur les perspectives offertes par le plan « Sénégal 2050 ».

Bassirou Diomaye Faye est le premier de nos chefs d’Etat à devoir « gérer » une dette cachée évaluée à 4000 milliards de nos francs. Les Sénégalais sont-ils conscients de la signification de cette verrue sur notre face ? Notre réputation en a pris un sacré coup et il faudra des mois pour mesurer l’ampleur de cette catastrophe. Nos possibilités d’attirer des investissements directs étrangers et d’emprunter de l’argent s’en trouvent amoindries. Si, en décembre 2024, notre pays était parmi les mieux classés en Afrique subsaharienne en matière de climat des affaires, il est aujourd’hui en pleine transition économique, plusieurs secteurs broyant du noir, le ralentissement de l’activité patent.

Une transition économique voulue car promesse de campagne mais qui s’est révélée plus difficile à mettre en œuvre. On craint maintenant que le Fonds monétaire international (Fmi) n’arrive à ses fins et n’obtienne la levée des subventions sur l’énergie. Transition économique ? C’est du moins la manière la plus généreuse de nommer le prix payé à la transparence désormais posée comme paradigme. Ce devoir de vérité était inéluctable même associé à un déclassement.

Mais dans une société en butte à une rupture de la confiance entre acteurs, où les rancœurs nées de la crise pré-électorale de 2021-2024 catalysent toujours la vie politique un après la troisième alternance au sommet de l’Etat, il est difficile de poser les termes de ce débat sereinement.

Aujourd’hui, le Sénégal est polarisé par le fait de ses hommes politiques malgré le choix clair des électeurs en 2024 : 54% des suffrages pour le candidat du Pastef au premier tour. Ici, l’écoute est maintenant rare, voire inexistante. Le débat est bas, centré sur la recherche de coupables et la raillerie, vindicatif, peu porteur de sens à moins de révéler une nouvelle nature des Sénégalais. On veut entendre la confirmation de ses propres opinions, pas l’alternative.

Pourtant, il faudra bien s’y faire. Le lait a été trait. Il faut le boire (ou le transformer) avec l’ustensile de la cohésion, comme y invite le Président de la République, avant qu’il ne caille d’autant qu’à la remise en cause de nos certitudes au plan économique s’ajoute un bouleversement des relations internationales. Un nouvel ordre mondial fait de retournements d’alliances, illustré par la fin d’une certaine idée de l’Amérique et de la mondialisation, a vu le jour.

L’idée même d’Occident ne recouvre plus la même réalité qu’auparavant car n’étant plus un bloc cohérent. Beaucoup de puissances, autrefois modèles, sont maintenant dans « l’illibéralisme », c’est la restriction des libertés, le chacun pour soi, la loi du plus fort. Pour la première fois, l’Afrique n’a plus le choix car la fin de l’aide n’est plus une vue de l’esprit.

Chaque pays doit compter sur ses propres atouts. Le défi du moment est aussi profondément moral et citoyen. Nous ne saurions être un pays d’injures ! Face à un semblant de « lassitude » démocratique, notre salut résiderait dans un sursaut de maturité collective. Plus qu’un devoir, c’est une responsabilité : celle de ne pas trahir ce commun vouloir de vie commune, hérité des brassages d’hier et à transmettre debout, lucides et solidaires, pour demain.

  Par Samboudian Kamara

Dieyna SENE
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