Voici en synthèse le compte rendu du séminaire du 25 avril 2024 sur le thème : « Quelles perspectives pour la nouvelle politique d’intégration africaine et de diplomatie du Sénégal ? »
- Mots introductifs.
Dans son propos introductif, S. E. Mme Yassine Fall, Ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, est revenue sur la dénomination du Département qui met l’Intégration africaine au centre de notre politique étrangère. Il s’agira par conséquent, dira-elle, de réorienter notre diplomatie vers l’approfondissement et l’accélération d’un processus d’intégration approfondie et égalitaire de l’Afrique, conformément aux nouvelles orientations politiques du Chef de l’État et la rupture attendue par le peuple sénégalais.
À cet égard, le regard différent des quatre panélistes permet d’articuler une stratégie pour mettre en œuvre la vision et plus tard décider de l’architecture organisationnelle à mettre en place pour le Département.
- Panel.
En ouvrant les travaux du panel, Monsieur Pierre Sané, modérateur, a, dans ses remarques liminaires, rappelé le contexte dans lequel est intervenue la troisième alternance au Sénégal, tout en relevant que loin d’une simple rupture de régime politique, le peuple a opté pour un changement de paradigme qui implique une rupture par rapport aux régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance.
Dans cet esprit, Monsieur Sané a souligné la nécessité de réévaluer la politique extérieure du Sénégal au regard des bouleversements géopolitiques du monde actuel. Il considère également ainsi que la diplomatie est un moyen d’atteindre l’objectif de l’intégration africaine décidé par le Chef de l’État, à travers ses trois composantes : régionale (CEDEAO), continentale (Union africaine) et tous les afro-descendants dans les autres continents (Caraïbes et Amériques, notamment).
À sa suite, le panel a été animé par sept (7) intervenants :
- Monsieur Barka Ba, Journaliste.
Dans son intervention, Monsieur Barka Ba a relevé, pour le déplorer, la méconnaissance des autres pays par les Sénégalais ainsi que le déficit d’informations concernant les pays africains. À titre d’illustration, il a évoqué son propre expérience pour indiquer que c’est par hasard qu’il s’est intéressé à l’actualité des pays de la sous-région, qu’il a sillonnée depuis lors en tant que journaliste.
Il n’a pas manqué de souligner, pour s’en féliciter, la posture du Sénégal sur la crise gambienne lors des élections de 2017 qui ont porté Monsieur Adama Barrow au pouvoir. Selon lui, le Sénégal a pu utiliser son soft power pour mobiliser la communauté internationale et africaine au service de ses intérêts stratégiques en Gambie. La diplomatie d’influence sénégalaise et d’autres moyens d’action, dira-t-il, ont permis de contenir la crise gambienne.
- Monsieur Ibrahima Aïdara, Économiste et membre de la société civile.
Monsieur Ibrahima Aïdara a analysé la diplomatie sénégalaise au regard de son expérience en qualité de Président de Open society fundation. Il a estimé que la politique étrangère souverainiste doit s’articuler autour des points ci-après :
- a) Une perspective de décolonisation qui s’appuie sur :
* un changement de paradigme au niveau de la diplomatie ;
* une modernisation des Missions diplomatiques et consulaires et la réconciliation des Sénégalais de la diaspora avec les acteurs de la diplomatie ;
* la promotion d’une diplomatie culturelle et scientifique ;
* le renforcement des relations avec la société civile et le monde académique.
- b) Positionnement sur les négociations internationales (dettes, financement du développement, le climat et son financement, etc.) ;
- c) Effort dans l’harmonisation effective des politiques publique africaines, particulièrement au niveau de la CEDEAO ;
- d) Une meilleure articulation des politiques commerciales africaines aux plans sous-régional et régional ;
- e) Réorientation de la ZLECAf vers les petites et moyennes entreprises africaines ;
- f) candidature potentielle du Sénégal à la présidence de la CEDEAO en vue d’engager des réformes de son administration et convaincre les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) de rester au sein de l’organisation.
- Ngagne Demba Touré, jeune cadre de PASTEF.
Monsieur TOURE a rappelé que la vision est basée sur le Souverainisme et le Panafricanisme de gauche. Il a, ensuite, passé en revue les instruments internationaux et africains relatifs aux politiques de jeunesse. Il en a tiré la conclusion, pour le déplorer, que tous les instruments juridiques sont fondés sur une approche « besoins ».
Aussi, il se propose de renverser la tendance pour adopter une approche basée sur le rôle de la jeunesse et estime que la jeunesse est un levier d’intégration africaine. À ce titre, elle devait être la locomotive de l’intégration africaine et la force motrice du développement.
Monsieur Touré attend que la jeunesse africaine soit décomplexée et capable de relever les défis mondiaux. L’objectif étant, d’après lui, de susciter et de renforcer le sentiment d’appartenance africaine, cultiver une croyance forte au panafricanisme. Pour ce faire, il a formulé les propositions ci-après :
* création du Conseil africain de la jeunesse ;
* organisation de vacances annuelles panafricaines de la jeunesse ;
* adoption d’une directive communautaire sous le leadership du Sénégal pour déterminer un quota de 25% réservé aux jeunes dans les organes délibératifs politiques ;
* création de clubs africains sportifs ;
* tenir des forums sous-régionaux et régionaux de l’entrepreneuriat et de l’emploi de la jeunesse ;
* changer la dénomination de la Direction Afrique et Union africaine en Direction ou Direction générale de la Promotion de l’intégration africaine avec une Division chargée des questions relatives à l’intégration africaine pour les jeunes.
- Monsieur Malick Sy, Interprète de conférence.
Monsieur SY a lancé un appel pour l’abandon du discours incantatoire de l’intégration pour aller vers l’action. Il a relevé les limites de l’approche senghorienne des cercles concentriques et considère que la libre circulation des personnes et des biens pourrait accélérer l’intégration des peuples africains.
Monsieur SY s’est également interrogé sur l’acception du concept « souverainisme » avant d’inviter les autorités à clarifier la définition en délimitant son champ en vue d’éviter des incompréhensions préjudiciables au « PROJET ».
- Ambassadeur Sylvain Stephan Sambou, Directeur Afrique et Union africaine.
Pour sa part l’Ambassadeur, Directeur Afrique et Union africaine a d’emblée appeler l’attention des participants sur l’importance de penser à la mise en œuvre sur les terrains des orientations qui seront retenues. Il a suggéré de consolider nos acquis tout en engageant des ruptures ; ce qui représente un équilibre certes difficile mais nécessaire.
Sous ce rapport, il a estimé que le Sénégal dispose d’une diplomatie d’influence et d’un leadership incontestable. Toutefois, regrette-t-il, ces deux atouts constituent tantôt un vecteur d’admiration, tantôt un vecteur de jalousie. C’est ainsi que certaines positions traditionnelles du Sénégal ont des effets dominos sur nos relations avec les partenaires. Par conséquent, il invite les acteurs de la diplomatie à évaluer les conséquences des éventuels changements de position (question palestinienne, par exemple).
- Secrétaire d’Etat au Sénégalais de l’Extérieur.
Monsieur Abdou Cherif Diouf, Secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’Extérieur a présenté sa vision de la politique dédiée aux Sénégalais de l’Extérieur. Selon lui, deux (02) objectifs sont à poursuivre :
- a) rendre les Sénégalais de l’extérieur fiers de leur pays ;
- b) mobiliser les ressources humaines et financières des Sénégalais de l’Extérieur.
À cet effet, il a décliné les priorités ci-après :
* recensement des Sénégalais de l’extérieur ;
* digitalisation des procédures de délivrance des documents administratifs et actes d’Etat civil ;
* mise en place d’un système d’assurance pour le rapatriement des corps en faveur des Sénégalais décédés à l’extérieur du pays. Il s’agira de privilégier des structures locales à la place de l’approche centralisée qui avait été retenue ;
* accompagnement de notre compatriotes établis à l’étranger pour l’organisation de colonies de vacances pour leurs enfants ;
* promotion de la migration circulaire ;
* accompagner les Sénégalais de l’Extérieur qui optent pour le retour dans la mise en œuvre de projets productifs ;
* création d’une banque de la diaspora qui sera implantée en Europe ;
* projet « Jaaring sa reew » pour mobiliser les ressources humaines de la diaspora, notamment dans le domaine de la santé ;
* création d’une ville de la diaspora « Ville Bitim reew » ;
* organisation d’une semaine de la diaspora ;
- S. E. Mme le Ministre.
Reprenant la parole, Son Excellence Madame Yassine Fall, s’est félicitée de l’expertise qui existe dans le département.
En rappelant le rôle du Sénégal dans les luttes de libéralisation et de décolonisation ainsi que la lutte contre l’apartheid, elle a souligné l’impérieuse nécessité d’une intégration économique africaine, la mobilité des peuples, l’intégration des peuples africains et la révision de nos rapports avec l’Occident.
Madame le Ministre est également revenue sur l’acception du concept de souverainisme tout en invitant les intellectuels à avoir le courage d’opérer des ruptures nécessaires.
À ce sujet, elle a souligné, pour le regretter, que la CEDEAO est devenue une organisation plus politique et militaire qu’un instrument d’intégration africaine.
En outre, elle a exhorté les acteurs de la diplomatie à explorer d’autres sources alternatives de financement du développement, à promouvoir un agenda commun africain et à organiser régulièrement les commissions mixtes avec les pays africains.
III. Discussions.
Au cours des échanges les points ci-après ont été soulevés :
* les stratégies de réconciliation et de remobilisation des États membres au sein de la CEDEAO ;
* opter pour une approche à long terme avec les pays de l’AES, particulièrement pour le Mali en se basant sur des canaux officiels et officieux ;
* consolider la position du Port de Dakar face à la concurrence (Abidjan, Lomé, Cotonou, etc.) ;
* la mobilisation de l’épargne de la diaspora ;
* l’intégration sécuritaire ;
* la réforme du parlement panafricain pour en faire un parlement des peuples ;
* la construction d’infrastructures à vocation régionale voire continentale pour faciliter la libre circulation des biens et des personnes et favoriser les échanges intra-africains ;
* la faiblesse du budget destiné à la promotion de la diplomatie économique.
- Conclusions.
Dans ses remarques conclusives Monsieur Sane a passé en revue les concepts clés du PROJET à savoir la souveraineté, la prospérité et la justice.
Au registre de la souveraineté, il a invité à ;
* s’appuyer sur les quatre (04) priorités sectoriels pour la souveraineté : pharmaceutique, alimentaire, énergétique et monétaire ;
* refuser l’alignement automatique sur les positions occidentales ;
* développer des alliances avec le Mali, Cabo Verde et le Nigeria pour refonder la CEDEAO ;
* promouvoir le droit à la double nationalité africaine ;
* fermer les bases militaires étrangères au Sénégal ;
* promouvoir les langues africaines ;
* prévoir des activités à l’occasion de la journée de l’Afrique (le 25 mai) ;
* maintenir la neutralité sur la crise ukrainienne.
Sur la prospérité :
* identifier des politiques publiques innovantes dans les pays d’accueil des missions diplomatiques sénégalaises pour s’en inspirer (benckmarking) ;
* insérer dans tous les contrats avec les entreprises étrangères des clauses relatives à la responsabilité sociétale des entreprises et au respect des droits des travailleurs et des droits de l’homme.
Au plan de la justice internationale, adopter des positions courageuses sur :
* la Palestine ;
* la République Démocratique du Congo ;
* le Soudan ;
* et Haïti, pays peuplé d’africains qui voulait rejoindre l’Union africaine.
Il a terminé ses propos en déclinant les qualités attendues des diplomatiques sénégalais, en l’occurrence le patriotisme, l’intégrité, la ténacité, le panafricanisme et le souverainisme.
- Clôture
Mme le ministre s’est félicitée de la qualité des échanges et a remercié les panélistes qui, par élan patriotique, ont répondu favorablement à son invitation en dépit des contraintes multiples et les délais très courts.