MNF & Yoro Dia : l’interview qui donne libre cours à la parole hémorragique Par Ahmed Bathily

La victoire au premier tour du Président Diomaye Faye a eu l’effet d’un coup-ko ! Et comme tout coup-ko, elle n’a pas manqué de casser des gueules. Or, comme le dit l’adage wolof : gémmiñ guy nàcc du wax jàmm (la gueule cassée profère des paroles incendiaires). Les caractéristiques principales de la parole hémorragique sont de colporter de la haine (hate speech), du sarcasme, de l’agression verbale, du dénigrement…

Sous ce rapport, la parole hémorragique comme ressource communicationnelle est de l’ordre de l’anti locution. Elle est en effet portée par des locuteurs amers dont l’objectif principal est de déshumaniser et de dégrader autrui qui, en l’occurrence, a politiquement pris le dessus, par les urnes qui plus est.

Il s’agit de le traiter en ennemi absolu parce qu’on le considère comme étant l’auteur d’une défaite électorale vécue comme une humiliation.

C’est pourquoi, le choix de l’interview comme medium de la parole hémorragique relève soit d’une stratégie propagandiste dûment planifiée mais mal exécutée, soit d’un je-m’en-foutisme déontologique qui devrait dans tous les cas interpeller le CORED.

La tirade déplacée et désaxée de MNF (cf. entre 40mn30 et 41m42 sur la vidéo en ligne), donne à voir une incongruité cathodique qui ne peut laisser de marbre le Tribunal des pairs.

Face à la caméra, elle apostrophe le Premier ministre dans une posture et une tonalité à la fois triviale et martiale montrant par-là que ses états d’âme du moment ont fini de prendre le dessus sur son professionnalisme.

Dans quelle école de journalisme enseigne-t-on cette manière insolente et insolite, passionnelle et émotionnelle, de faire une interview en s’adressant frontalement et directement à une tierce personne qui n’est pas présente sur le plateau ?

L’autre illustration de « gémmiñ guy nàcc », est dans le propos de Yoro Dia. Celui qui disait juste après la défaite du 24 mars 2024 vouloir retourner à ses activités privées, se signale depuis autant par une hémorragie de la parole que par une parole hémorragique.

Non seulement, il ne se tait plus -il apparaît dans les médias plus que Mbaye Pekh, Khadim Samb et Lamine Samba réunis- mais le voilà, dans cette interview des gueules saignantes, qui compare le Président de la République au roi d’Angleterre, le Premier ministre à Hitler, les militants et sympathisants du PASTEF à des nazis… Près de deux heures durant, la caricature grossière, l’intoxication, la désinformation et la diabolisation ont suinté de sa bouche. Néanmoins, cette interview des gueules saignantes a eu un « mérite ».

C’est au fond d’avoir montré qu’un des problèmes de Yoro Dia c’est le fait d’être viscéralement attaché au modèle senghorien que l’historien Mamadou Diouf a présenté comme clôt avec l’avènement au pouvoir du tandem Diomaye-Sonko. Yoro Dia a mentionné moult fois le nom de Senghor et systématiquement dans des configurations énonciatives où dominait la glorification. Il a louangé le modèle de nation, d’État, de relations internationales, et même de parler-français… supposé être promu par Senghor.

Tant et si bien que Yoro Dia a fini par croire fermement en l’existence d’un État et d’une République senghoriens que l’on pourrait dire imaginaire puisque l’hyper-présidentialisme est érigé en vertu, la prédation et la répression sont tabouisés, les inégalités sociales et territoriales sont minimisées, les vulnérabilités sont invisibilisés, l’absence de souveraineté est déniée.

Yoro Dia en est même décomplexé de déclarer publiquement avoir rallié le pouvoir déchu, en mars 2021, en tant que soldat venu « en renfort d’effectif » (sic) pour sauver le pouvoir.

On sait ce que l’esprit de résistance indomptable du peuple sénégalais a fait des effectifs, de la guerre et du général Sall qui récemment clamait avoir « le Sénégal au cœur » et qui depuis la bérézina se trouve dans l’obligation de porter bon gré mal gré Marrakech dans son cœur.

En réalité, Yoro Dia est le détenteur d’un logiciel tout à fait désuet. Il est devenu à ce point balourd qu’il dénie et nie jusqu’à l’existence du Projet consultable en ligne et diffusé en format numérique et imprimé en des milliers d’exemplaires, se gausse de l’idée de souveraineté…

Il présente la révolution du PASTEF comme une « parenthèse » de l’histoire à « refermer très vite ». Il appelle d’ailleurs les Sénégalais à se saisir des législatives pour aller vers une cohabitation non sans leur assurer que les institutions du pays sont assez fortes pour permettre une cohabitation non-chaotique.

On a presque envie de le mettre en garde contre les effets ravageurs qu’un second coup électoral ko pourrait avoir sur son humeur ostensiblement revêche !

Mais l’on se dit que même commotionné par une nouvelle rafale électorale, Yoro Dia ferait du Yoro Dia : l’hémorragie de la parole et la parole hémorragique. C’est là le triste sort, le sort immuable, d’un mauvais perdant qui a joué petit bras et perdu gros.

Par Ahmed Bathily

Pape Ismaïla CAMARA
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