Le 4 avril dernier, lors de votre deuxième interview télévisée en tant que chef de l’Etat, vous avez déclaré que «la population doit mettre la pression sur la Justice». Cette phrase, prononcée dans un contexte marqué par une forte attente de changement, a été largement commentée. Et pour cause !
Elle semble aller à contre-courant de l’engagement de votre propre ministre de la Justice, qui plaide pour une démarche régalienne, respectueuse des procédures et des droits. Monsieur le Président, cette déclaration soulève un questionnement fondamental : peut-on, dans un Etat de Droit, encourager la pression populaire sur une institution qui, par définition, doit être indépendante ? La réponse se trouve dans notre Loi fondamentale.
L’article 88 de la Constitution du Sénégal est on ne peut plus clair : «Le Pouvoir judiciaire est indépendant du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif.» Ce principe n’est pas seulement une garantie institutionnelle ; il est le socle de toute démocratie fonctionnelle.
Lorsque la Justice est soumise à la pression -qu’elle vienne du pouvoir ou d’une partie du peuple-, elle cesse d’être un arbitre impartial. Nous comprenons, Monsieur le Président, que vos propos visaient à exprimer une forme d’impatience face aux lenteurs de certaines procédures ou à l’exigence de reddition de comptes.
Mais il est essentiel que cette volonté de réforme ne soit pas interprétée comme une incitation à contourner les voies de Droit ou à influencer les juges par des pressions extérieures.
Votre ministre de la Justice, dans ses différentes sorties, a insisté sur la nécessité de respecter les droits de la défense, la présomption d’innocence et le temps judiciaire. Ce positionnement a été salué, car il rompt avec une culture de la justice téléguidée qui a miné la confiance des citoyens dans les institutions.
En tant que garant du bon fonctionnement de celles-ci (article 42 de la Constitution), vous avez le devoir de veiller sur votre discours pour éviter toute ambiguïté. Le Sénégal est à un tournant. Le Peuple a exprimé son désir de rupture, non seulement avec les pratiques politiques du passé, mais aussi avec une justice perçue comme instrumentalisée.
Il vous revient, Monsieur le Président, de protéger cette aspiration en veillant à ne pas brouiller les repères. Les réformes attendues dans le secteur de la Justice doivent s’inscrire dans le cadre de la légalité, du respect des droits et de l’indépendance des magistrats.
Le changement ne viendra pas de la pression populaire sur les prétoires, mais d’un renforcement structurel des institutions, d’une clarification des responsabilités et d’un engagement sans faille pour une justice juste. En ce sens, Monsieur le Président, vous pouvez -et vous devez- dire que la Justice ne se pilote pas à l’émotion, mais à la raison. Vous pouvez dire que les Sénégalais auront gain de cause non pas en criant devant les tribunaux, mais en exigeant de leurs institutions qu’elles fonctionnent avec probité. Cela, vous pouvez le dire. Et cela, le Peuple l’attend de vous.
Amadou Mbengue dit Vieux
Secrétaire général de la coordination de Rufisque
Membre du Bureau Politique du Pit/Sénégal