Au commencement de ce nouveau règne politique dite du ‘Projet’ fut un raz de marée électoral aux proportions d’un tsunami qui finit par emporter les dernières velléités désespérées d’une autre ère finissante… Les goorgorlous harassés et lassés des jeux politiciens décidèrent sans ambages de sonner le glas d’un cycle ‘libéral’ (de Wade a Macky) épuisé, qui pour un temps suscita bien des espoirs avant d’être gangrené par le clientélisme et la corruption.
En effet l’ascension du Pastel aux accents messianiques consacrait l’épuisement d’une gouvernance APR devenue dysfonctionnelle, source d’un immense haut-le-cœur notamment chez ceux qui comme nous en avaient applaudi la promesse après avoir déchanté des errements du précèdent régime PDS à bout de souffle. Donc nous y voilà !
Et Maintenant que Faire (sic) ? Jadis quête d’une révolution soviet balbutiante, ici et aujourd’hui lancinante question qui trahit des attentes démesurées que porte une multitude dans un pays où tout est urgent.
Un pays qui à peine a fini de délivrer ses suffrages commence à balloter entre espérance de rupture et défi d’impatience. Et comme en l’an 1917 des Soviets sommes-nous à l’orée d’un moment fondateur, un moment emblématique de rupture radicale avec le passé ou simplement s’agirait-il d’un nouvel ersatz d’accommodement avec un ‘système’ sous un verbe plus inspiré voire populiste comme dirait l’autre opposant. Mais laissons donc aux politiciens d’en face l’aplomb de tirer des plans surla comète et de jouer les Cassandre.
Et contentons nous plus humblement de tenter d’esquisser quelques enjeux cruciaux à cette croisée des chemins. Après avoir présenté au public son Plan 2050, une vision somme toute cohérente des fins publiques pour lesquelles le Pastef a entrepris de conquérir et d’exercer le pouvoir il reste à cet attelage à prioriser les défis, définir les objectifs et exécuter durablement les politiques publiques y afférant. Ces modalités restent sine qua non à toute chance de succès.
Mais d’abord pour ce faire il requiert de s’installer définitivement dans un nouveau paradigme mental. Le Pastef n’est plus le farouche opposant incarnant la promesse du changement il est devenu le pouvoir, celui qui a le pouvoir de faire bouger les choses pour nous citoyens pour le meilleur (et le pire).
Opérer cette mue de l’opposant épisodique au gouvernant à temps plein est un ajustement psychologique à compléter sans nuance par tout gouvernant en charge pour asseoir sans ambiguïté les conditions d’image et de crédibilité nécessaires à l’autorité de gouverner.
Car après avoir remporté une éclatante victoire électorale il est maintenant venu le temps de la construire. Le chemin vers une transformation systémique tant déclamé sera long et semé d’embûches. Il va falloir savoir tenir le guidon sans quitter de vue l’horizon (2050 sic).
L’ambition semble clairement énoncée. Faire table rase (ou presque) de l’existant dit ‘système’ pour un projet totalisant qui veut propulser un pays – jusque-là sclérosé dans des schémas d’éternel recommencement – vers une modernité souveraine assumée sans complexe.
Soit. Mais l’accouchement sous nos yeux suit parfois les méandres d’une dialectique parfois déroutante entre pragmatisme / réalisme et idéalisme politique porté par des jeunes militants intrépides gardien du temple. Surmonter ces soubresauts sera un des écueils à déjouer tout au long du parcours.
Car en vérité il faut dire que dans un pays plombé par des dynamiques sociétales d’une pesante inertie, fourvoyé par toutes sortes d’obscurantismes mode RS ou télé réalité, lesté par des corporatismes à col blanc cramponnés à ses biens et avantages (même parfois mal acquis) … les vraies mutations durables c’est-à-dire le développement prendra du temps, de la pédagogie et de la ténacité. Les réformes engagées ici et maintenant prendront des années avant de transformer structurellement l’économie et de donner des emplois et du pouvoir d’achats aux cohortes de goorgorlous qui piaffent d’impatience.
En attendant le cap doit être maintenu sans frémir. Autrement dit continuer à approfondir la réflexion sur les défis et solutions de souveraineté économique tout en préservant son énergie dans l’exécution des stratégies à la fois structurelles et sectorielles et en tenant compte des dynamiques internes et des contraintes externes qui façonnent notre identité de pays.
Garder la trajectoire malgré les possibles embardées sur une longue marche.
En effet les chantiers sont immenses. De la nécessite urgente (mais o combien délicate) d’une stabilisation des finances publiques ou de la rationalisation des dépenses (sans tomber dans l’austérité) aux actions plus ou moins longues de redressement voire de refondation, l’agenda de réformes sera jaugé et jugé à sa capacité à produire / exécuter des solutions face aux dysfonctionnements socioéconomiques majeurs de notre Sénégal.
Ils ont pour noms (sans être exhaustif) la nécessite d’élargir / diversifier la base économique en renforçant la productivité surtout agricole tout en impulsant le développement industriel local des PME/PMI en facilitant leur accès au crédit ;
réorienter une croissance vers des directions plus créatrices d’ emplois en soutenant l’agriculture par des infrastructures rurales adaptées (irrigation, stockage) et en impulsant des secteurs -toujours en retard malgré les efforts consentis – comme les transports, l’énergie, les TIC pour améliorer la compétitivité des entreprises ;
reformer le fisc pour élargir l’assiette des contribuables et réduire l’évasion fiscale avant de reconsidérer plus tard une monnaie plus arrimée à nos priorités économiques qu’à celles de la BCE ;
repenser le rôle stratégique de l’État dans l’économie en privilégiant des partenariats public privé dans le financement de projets clés d’infrastructures sans saturer les finances publiques ;
au plan local mieux réaménager le territoire en corrigeant les inégalités régionales d’accès aux services notamment entre Dakar et le reste du pays ; au plan extérieur promouvoir une diplomatie économique sans a priori et des accords de libre échange pour soutenir les exportations ;
et enfin au plan social reformuler la politique éducative en faveur d’une meilleure allocation des ressources et pour corriger un déséquilibre caractérisé par une sous-représentation ( un tiers des effectifs) des formations techniques et scientifiques en augmentant les investissements dans les infrastructures éducatives dédiées aux technologies industrielles (y compris les métiers du gaz et du pétrole) pour plus généralement assurer une meilleure adéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché.
Car de toutes ces interventions à opérer cette dernière est sans doute (avec la sante) la plus déterminante c.à.d. la plus transformative du capital humain au travail. Car la source de notre sous-développement avant tout autre facteur est d’abord est le manque de de savoir de savoir-faire et de qualification…
Mais arrêtons-la cet inventaire à la Prévert ! Car en même temps que leur pertinence, les conditions de possibilité et d’efficacité de ces initiatives restent tributaires de la construction d’un nouveau cadre de gouvernance économique et institutionnelle sous tendu par des mécanismes robustes de lutte et de système de contrôle contre la corruption pour garantir une gestion publique transparente et responsable. Une évolution de l’État vers un nouveau paradigme économique requiert un profond changement des institutions et des mœurs du pouvoir politique.
Ailleurs comme au Rwanda ces standards de redevabilité ont fourni les effets d’accélération et de multiplication pour un impact maximal dans la gestion des ressources publiques. Enfin qu’il soit dit que le vrai enjeu n’est pas tant la prochaine perfusion d’argent qui viendra des bailleurs internationaux – cela ne règlera que pour un temps fini les dépenses les plus pressantes du Trésor public – mais plutôt dans la capacité de ce gouvernement à combiner dans le bon ordre et le bon tempo ces politiques publiques loin de la cacophonie des chroniqueurs bonimenteurs de tout acabit qui ne peuvent que brouiller l’intelligibilité des dynamiques en cours.
C’est à ce prix que notre marge de manœuvre visà-vis de toute dépendance extérieure financière ou autre pourra se consolider et se conforter chemin faisant.
Et pour clore gardons-nous de n’aborder les défis du moment que sous l’angle gestionnaire de l’allocation des ressources voire de la solvabilité d’un État confronté à une mauvaise passe de cashflow.
Car le renouveau économique ne sera pas sans clameur et sans douleur et pour advenir il sera crucial pour ce nouvel État ‘souverainiste’ (mais encore très héritier de Colbert) aussi d’instaurer une culture de la participation citoyenne dans la gestion des affaires publiques en impliquant davantage les populations par des consultations / concertations publiques pour une appropriation accrue dans l’initiation et le suivi des grands projets et des reformes parfois difficiles à entreprendre.
En attendant les lendemains qui chantent ! ce serait aussi un axe de recherche de consensus pour tempérer une société polarisée et donner à sa grisaille quotidienne un sens et un horizon. Car en ces temps de morosité qui portent ‘au pessimisme de l’intelligence’ il importe de susciter (comme Gramsci) le nécessaire ‘optimisme de la volonté’ apte à galvaniser les énergies pour les ruptures fortes annoncées. Cela ne relève pas strictement de l’économie. Mais du politique. Ou des deux.
Dr. Papa M Tandian
Consultant international