Tensions politiques et sociales : quels médiateurs pour apaiser le climat ?

Il aura fallu trois mois de grève avant que le gouvernement et les syndicats d’enseignants ne concluent difficilement un accord. Au plan politique, le pouvoir et l’opposition se livrent une guerre des tranchées sans que personne ne s’interpose. Ces deux exemples sont symptomatiques de l’absence de régulateurs sociaux qui ont de tout temps réussi à dénouer les crises les plus complexes.

A présent, il en manque cruellement alors que les médiateurs institutionnels sont quasiment tous disqualifiés par l’opposition. Et c’est manifestement le plus grand mal dont souffre le pays. Le Vrai Journal

Trois mois de crise et un sauvetage in extremis de l’année académique ! Une grève des enseignants n’aurait sûrement pas duré aussi longtemps du vivant de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh. Pas plus que le climat politique ne serait aussi tendu et de façon quasi permanente si des négociateurs de l’ombre s’étaient activés en coulisses pour arrondir les angles. C’est ainsi que le pays a toujours fonctionné. Si bien que les crises, aussi profondes soient-elles, ont été souvent réglées par ceux qu’on a toujours considérés, et à juste titre, comme de véritables « régulateurs sociaux ».

Régulièrement et sans même rencontrer directement les protagonistes, le défunt khalife des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, parvenait à dénouer les crises les plus complexes par une simple prise de parole publique.

Réputé pour sa grande piété, son penchant pour l’austérité, son rejet de tout privilège et son désintéressement par rapport à tout ce qui est mondain, il était respecté de tous et sa voix faisait autorité. Il suffisait donc simplement qu’il interfère dans un dossier pour en faciliter le règlement.

Son deuxième successeur, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine avait, toutes proportions gardées, le même talent de facilitateur.

Contemporain de Dabakh, Serigne Abdoul Lahad Mbacké était à la fois le confident et le conseiller d’Abdou Diouf qui le consultait sur tout. Et sans avoir besoin de jouer ouvertement aux bons offices, son rôle dans la marche et la stabilité du pays était aussi discrète qu’efficace puisque l’ancien chef de l’Etat lui a toujours prêté une oreille attentive.

Ces quelques exemples suffisent à montrer à quel point nos guides religieux ont toujours joué à la perfection leur rôle de régulateurs sociaux. Dernier exemple en date : le rapprochement entre Macky Sall et son ancien mentor Abdoulaye Wade à la faveur de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinane et sous l’égide de l’actuel khalife des mourides, Serigne Mountakha Mbacké Bassirou .

Quelques années auparavant, l’un de ses prédécesseurs, en l’occurrence Serigne Bara Falilou, avait demandé et obtenu du Président Wade que sa séparation avec Macky Sall, éjecté de la présidence de l’Assemblée en 2008, ne débouchât sur des poursuites judiciaires à son encontre.

Qu’est-ce qu’on aurait aimé voir la même demande émaner d’une voix aussi forte lors du déclenchement de l’affaire Sonko-Adji Sarr ! ça nous aurait sans doute épargné les 14 morts enregistrés lors des événements de mars 2021 et un climat politique aussi tendu et dont personne ne peut mesurer présentement les conséquences sur la stabilité du pays.

Les médiateurs institutionnels disqualifiés ?

La crise politique et sociale que traverse le pays est d’autant plus inquiétante qu’au moment où les régulateurs sociaux traditionnels se font rares, ceux qui sont censés jouer ce rôle au plan institutionnel ne font guère l’unanimité. Et c’est le moins qu’on puisse dire.

Aussi bien Pape Oumar Sakho, Président du Conseil constitutionnel, Doudou Ndir, Président de la Cena que Demba Kandji, Médiateur de la République, ne semblent pas avoir bonne presse auprès de l’opposition.

Ses membres gardent en effet un bien mauvais souvenir du discours on ne peut plus dithyrambique du juge politique lors de la prestation de serment du Président Macky Sall. Non content d’avoir lâché un tombereau de louanges sur le Président pour la circonstance, Pape Oumar Sakho n’avait pas hésité à monter dans le véhicule pour le raccompagner jusqu’au Palais.

Un zèle que n’avait pas manqué de fustiger l’opposition, surtout de la part du président du Conseil constitutionnel censé afficher sa neutralité en toutes circonstances. De même, le souvenir du parrainage en 2019 et la manière plutôt opaque avec laquelle, plusieurs candidatures avaient été invalidées, sont de nature à disqualifier le président du Conseil constitutionnel dans son rôle d’arbitre du jeu politique aux yeux de l’opposition.

Idem pour le Président de la Cena, Doudou Ndir. Pour rappel, les leaders de Yewwi Askan Wi n’ont pas manqué de demander son départ de la présidence de la Commission électorale nationale autonome (Cena).

Et pour cause, Le mandat serait arrivé à terme depuis bien longtemps. « Depuis 2011, la Cena, qui est censée superviser et contrôler les élections, est présidée de façon illégale par un magistrat à la retraite. La Loi de 2005, portant création de la Cena, dans son article 6, précise que quand un membre de la Cena est définitivement indisponible, il doit être remplacé. Et le nouveau membre devra achever son mandat. Doudou Ndir qui avait remplacé Moustapha Touré, a terminé son mandat depuis le 31 mai 2011 », déclarait ainsi la principale coalition de l’opposition.

CQFD : Doudou Ndir doit débarrasser purement et simplement.

Quant au Médiateur de la République, Demba Kandji, il traîne comme un boulet aux yeux de l’opposition son passé de Premier président de la Cour d’Appel de Dakar et, surtout, son traitement du dossier Khalifa Sall.

Mieux, avant d’être installé dans ses fonctions de Médiateur de la République le 4 octobre 2021, il avait été détaché auprès de la présidence de la République. Suffisant pour que l’opposition le perçoit comme un homme du Président.

Le Vrai Journal

Saphiétou Mbengue
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